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Tous responsables = personne responsable ?

Écrit par Sogilis

On continue dans cet article à décrire l’organisation de la gestion de Sogilis Lyon. On a vu dans l’article précédent la façon dont avait évolué, de façon agile, notre système de suivi des actions et la gamification qui y était associée. Nous y avions survolé l’aspect de la responsabilité. En effet, ce sujet mérite un article à part entière selon nous. Dans une entreprise à organisation horizontale tout le monde est responsable de tout. Le risque majeur est que chacun ne s’estime responsable de rien. Une facture doit être réglée ? Mon voisin peut bien s’en charger. Il faut contacter le propriétaire des locaux à propos de la fuite d’eau ? J’ai mieux à faire maintenant, quelqu’un d’autre le fera surement.

Quelles sont les différentes méthodes que nous avons mises en place pour éviter cette dérive ?

La personne responsable n’est pas nécessairement celle qui fait

L’association d’une personne responsable à une action est une règle classique dans la méthodologie agile. Être responsable d’une action signifie pour nous de s’assurer que l’action soit faite en temps et en heure. La personne responsable n’a pas l’obligation de réaliser elle-même cette action.

Au bout de quelques semaines, nous avons néanmoins identifié un problème : certaines tâches prenaient du retard ou étaient bloquées. Nous nous sommes aperçus que certains d’entre nous étaient responsables de 4 ou 5 actions à la fois et ne déléguaient pas leur réalisation. Ils prenaient trop d’actions, par motivation pour les tâches en question, ou par souci de sacrifice pour éviter aux autres d’avoir à s’en charger. Tout louable qu’il soit, ce comportement ralentissait de beaucoup la réalisation des actions. C’était un problème pour l’entreprise, car les actions n’avançaient pas. C’en était également un pour les salariés, qui peuvent vite se sentir surchargés, voire coupables de ne pas réussir à faire avancer toutes les actions en même temps.

Arnaud, l’un de nos collègues nous a alors proposé un jeu pour nous aider à nous organiser : le casino game.

Casino game

C’est un jeu permettant d’appréhender une partie de la méthodologie agile de façon ludique. Les articles décrivant ce jeu et ce qu’il apporte ne manquant pas par (ici), nous nous concentrerons juste sur ce qu’il a apporté à notre organisation.

Le casino game permet de prendre conscience que quelques règles extrêmement simples permettent de fluidifier formidablement une chaîne de production et ainsi de produire davantage de valeur, tout en réduisant l’en-cours. L’idée est de faire réfléchir l’équipe, à chaque itération, pour améliorer cette chaîne.

Courbe bleue : nos bénéfices au cours des trois itérations. Courbe rouge : notre en-cours en fonction des itérations.

À la fin du jeu, nous avons identifié deux règles à intégrer dans notre entreprise :

  • prendre au maximum deux actions par personne pour lisser la charge de travail et se protéger individuellement de la surcharge, soit limiter l’en-cours individuel;
  • prendre plus d’initiatives sans attendre l’aval des uns et des autres, pour fluidifier la réalisation des actions et éviter un embouteillage pouvant paralyser l’entreprise.

La règle des deux actions a été facile à mettre en place. Chacun a choisi un tampon encreur pour le représenter visuellement sur les post-it portant les actions. Cela permet rapidement de voir si l’un ou l’une d’entre nous a plus de deux tâches dans la colonne “En-cours”. Auquel cas on repasse une de ces tâches dans la colonne “À faire”, ou bien quelqu’un se porte volontaire pour prendre une des trois tâches. Ce genre de système visuel permet à chacun de savoir qui travaille sur quoi et de garantir la répartition de la charge de travail.

Nos avatars

Concernant le sujet de la prise d’initiative, nous continuons de le travailler au quotidien, notamment grâce à l’initiative poker.

Initiative poker

L’initiative poker (disponible ici) est une adaptation très proche, proposée par Augustin, du Delegation Poker inventé par Jurgen Appelo. Le Delegation Poker est à destination des managers d’équipes. Ces derniers n’existant pas chez nous, nous l’avons remanié pour qu’il réponde à notre problématique de prise d’initiative individuelle. En effet, si nous devons tous nous réunir avant chaque prise de décision, l’entreprise sera paralysée. En revanche certaines décisions méritent une réflexion collective. L’initiative poker a pour ambition de nous aider à discerner ces différentes situations pour gagner en efficacité.

Au début de chaque tour de jeu, un participant évoque une situation nécessitant une prise de décision, vécue ou non. À chacun ensuite de choisir la carte représentant ce qu’il ou elle ferait dans cette situation. Les cartes sont les suivantes :

  • Renoncer (j’abandonne l’action)
  • Demander ce qu’il faut faire
  • Demander conseil
  • Se mettre d’accord avec l’équipe sur l’action à faire
  • Consulter l’équipe sur l’action que l’on veut mettre en place
  • Annoncer l’action que l’on compte faire
  • Initiative : on fait l’action directement sans en parler

L’échelle de valeur pour la prise de décision

Nous y avons joué une première fois pour tester le jeu et prendre la température de l’équipe sur le sujet. Voici certaines des situations proposées :

  • acheter un second écran,
  • louer un stand sur un salon,
  • répondre à une interview au nom de l’entreprise,
  • réaliser un flyer pour l’entreprise.

Nous nous sommes vite rendu-compte qu’il y avait souvent un écart important entre les différents membres de l’équipe, certains n’hésitant pas à prendre beaucoup d’initiatives, quand d’autres étaient plus timorés. Or, dans la plupart des cas, aucun d’entre nous ne pensait que les personnes ayant posé la carte prise d’initiative avait tort de le faire. Cela nous a fait réaliser que nous devrions tous faire l’effort d’oser plus et de prendre des initiatives plutôt que d’aller chercher trop souvent le consensus auprès de l’ensemble de l’équipe.

Nous rejouons tous les 6 mois environ pour voir où nous en sommes, accorder nos violons et ceux des personnes arrivées plus récemment dans l’entreprise. Nous avons noté une progression en cela que les joueurs ont tendance à tendre vers la prise d’initiative dans des situations où ils ne le faisaient pas précédemment. L’écart des cartes entre les différents joueurs est d’ailleurs moindre à chaque nouvelle partie. Néanmoins chaque session génère des débats : on constate le besoin de continuer régulièrement à s’ajuster les uns aux autres.

Nous avons introduit ce jeu depuis peu lors des entretiens de recrutement. Ce jeu nous permet de tester leur prise d’initiative dans le travail et en dehors. C’est également un support de discussion, car nous laissons le candidat proposer des situations. Les premiers retours sont enthousiastes, les candidats apprécient cet échange et l’ouverture proposée. Cela leur permet aussi d’appréhender un peu plus l’organisation et la dynamique de l’équipe.

Nous avons décrit comment fonctionnait la responsabilité au niveau des actions simples, ainsi que la façon dont nous encourageons chacun à prendre des initiatives pour fluidifier la prise de décisions dans la société. Il nous reste à présent à aborder la question de la responsabilité de chacun, et de l’ensemble de l’équipe, pour les sujets plus transverses liés à l’entreprise. Qui est responsable du recrutement, de faire en sorte que l’entreprise possède une bonne visibilité, de veiller à ce que les actions liées au business soient faites afin d’avoir des prospects qualifiés etc… ?

Rôles tournant

Pour résoudre ces questions nous avons identifié et créé 5 rôles au sein de la structure :

  • Le Paladin, en charge du recrutement
  • Le Marchand, pour le business
  • Le Troubadour s’occupe de la communication
  • Le Voleur, comme de juste, est en charge des finances
  • Le Scribe, qui s’occupe de tout ce qui a trait à l’administratif

Les fiches décrivant les buts des responsables de chaque rôle

Ils suffisent pour l’instant à couvrir l’ensemble des actions auxquelles nous pensons pour faire tourner l’entreprise. On peut toujours rattacher une action simple du Kanban à l’un de ces rôles. Ces derniers sont, dans les entreprises classiques, bien souvent occupés par des personnes dont c’est le métier exclusif. Nous avons dû apprendre, dans un premier temps, à occuper ces rôles, et certaines des compétences qu’ils demandent.

C’est le moment de faire un petit retour en arrière, en septembre 2016. Notre gérant d’alors était seul en charge de la partie business. Il alimentait notre pipe business en prospects qualifiés, menait les avant-ventes etc… C’est quand il a décidé de quitter l’entreprise que nous avons entendu parler de la notion de Bus Factor. Le Bus Factor est le nombre de personnes, dans votre structure, devant se faire écraser en même temps par un bus pour que votre organisation se trouve en péril. Dans notre cas, le bus factor était de un. Il suffisait que notre gérant parte avec son réseau pour que la société soit en danger.

Les risques, avec les 5 rôles formalisés étaient :

  • de pérenniser ce Bus Factor de 1,
  • et de s’éloigner de notre règle : la personne responsable n’a pas l’obligation de réaliser elle-même cette action.

Si Marion occupe en permanence le rôle de voleuse et qu’elle fait toutes les tâches de ce rôle, elle est la seule à développer ses compétences et sa connaissance sur le sujet. Son départ serait donc dangereux pour nous. Voilà pourquoi nous avons décidé de faire tourner les rôles. Certains d’entre nous ont bien sûr plus ou moins d’affinité pour porter tel ou tel office, mais nous devons tous passer au moins une fois par tous les rôles. Pour se rendre compte des tâches à accomplir, pour monter en compétence, pour remplacer quelqu’un au pied levé. Nous avons opté pour des cycles d’un mois. Quand nous intégrons une nouvelle personne dans l’équipe, elle prend un rôle et binôme avec celui ou celle qui l’occupait précédemment pour être formée. Ce système est en place depuis 15 mois et fonctionne bien. Nous revoyons régulièrement les droits et devoirs de chaque rôle, toujours dans la démarche d’amélioration continue.

Conclusion

Un des doutes que nous avons le plus souvent entendu à propos de l’entreprise libérée est le fait de pouvoir prendre des décisions de manière efficace, sans retomber dans un schéma de hiérarchie. De nombreuses personnes pensent qu’une hiérarchie implicite se met nécessairement en place et que, par conséquent, les personnes situées “en bas” de cette pyramide se tournent naturellement et de façon tacite vers les “leaders naturels”. Et c’est vrai. C’est effectivement un risque majeur de cette forme d’organisation si l’on veut que tout le monde participe à son fonctionnement. Toutefois, ne pas se voiler la face et reconnaître ce risque permet de mettre en place des mesures pour le limiter. Être conscients de ce risque nous permet de faire l’effort de demander l’avis de tous pour les questions cruciales liées à l’entreprise. Faire l’effort de donner son avis, même lorsqu’on n’est pas du tout sûr de soi. Ce dernier point repose entièrement sur le fait que l’on s’attache à cultiver un environnement bienveillant, où l’on a le droit de donner son avis, de faire des erreurs, où l’on ne sera pas moqué pour une réflexion pas tout à fait aboutie.

Nous sommes de fait tous responsables. Responsables, identifiés individuellement, de petites actions quotidiennes et de rôles importants mensuellement. Responsables collectivement de veiller à ce qu’une hiérarchie implicite ne se mette pas en place, de veiller à ce que chacun puisse prendre des initiatives sans se sentir coupable en cas d’échec. Cela demande un effort, quotidien, mais nous pensons que les retombées en valent largement la peine.

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